L'actualité de demain : UNE FRACTURE POLITIQUE QUI S'ÉLARGIT, par François Leclerc

Billet invité.

Les dirigeants européens ont déplacé leurs attentes et, n’espérant plus apercevoir les petites pousses vertes de la croissance, cherchent des lueurs dans le ciel. Campés sur un terrain qu’ils connaissent et maîtrisent mieux que la finance, puisqu’il s’agit du leur, celui de la politique telle qu’ils la pratiquent.

Deux grandes échéances s’annoncent : les législatives italiennes en février, précipitées à cause de Silvio Berlusconi, ainsi que les élections allemandes, prévues pour l’automne prochain. Toutes deux sont porteuses d’incertitude : la victoire du Parti Démocrate italien pourrait déboucher sur une alliance avec Mario Monti, tandis qu’Angela Merkel serait forcée de constituer une grande coalition avec le SPD en raison de la chute du FDP. Les conditions politiques seraient alors réunies, tout au moins sur le papier, pour qu’un infléchissement de la stratégie actuelle de désendettement puisse enfin avoir lieu. Déjà, la campagne électorale italienne se fait sur fond de mises en cause et de promesses d’allégements du système fiscal.

La piste d’une relance reposant sur de nouveaux crédits étant fermée – comme en témoigne leur réaffectation étudiée par le dernier séminaire gouvernemental français – quels assouplissements pourraient intervenir ? En premier lieu ceux qui s’imposeront de toute façon, comme un report du calendrier de réduction du déficit au Portugal pour commencer, par exemple, enclenchant un mouvement plus général. En second une concession pourrait être faite à l’Irlande, dont l’Espagne pourrait ensuite bénéficier et que suggère Jean-Claude Juncker dans son testament vengeur d’hier de chef de file de l’Eurogroupe : une rétroactivité de l’aide financière directe aux banques soulageant le budget des États. L’Irlande espère également pouvoir bénéficier du programme d’achat obligataire de la BCE (OMT). Mais il y a loin de la coupe aux lèvres !

En attendant, les signes d’une fragile détente sont relevés ou sont envoyés par la BCE : sur le marché obligataire, les taux espagnols baissent et les rumeurs se multiplient de remboursements anticipés par certaines banques des prêts de la BCE à trois ans. Celle-ci vient également de décider de maintenir son principal taux directeur à 0,75%, enregistrant une « amélioration significative des conditions sur les marchés financiers » et « une stabilisation générale de certains indicateurs de conjoncture ». Serions-nous sur la voie d’une normalisation ? Ce serait très vite dit, car les mesures déjà prises continuent de produire leurs effets sur leur lancée. Et si le gouvernement espagnol profite de l’accalmie qui se poursuit sur le marché obligataire, il n’en introduit pas moins des clauses d’action collective lors de ses émissions, afin de faciliter d’éventuelles restructurations ultérieures de sa dette.

La Banque de France vient de confirmer que la France était entrée en récession, une diminution de 0,1% du PIB étant enregistrée les deux derniers trimestres 2012. La publication dans la presse portugaise des conclusions d’un rapport commandé par le gouvernement au FMI, à la Banque Mondiale et à la Commission européenne a fait l’effet d’un coup de canon dans le pays. Il y est recommandé de réduire le nombre des fonctionnaires, ainsi que leur retraite et leur salaire dans la période 2013-2014, afin de faire 4 milliards d’euros d’économie. Ceci dans le contexte de l’adoption d’un budget 2013 prévoyant déjà 5,3 milliards d’économies, dont le Conseil constitutionnel a été saisi à la demande du président de la République, Anibal Cavaco Silva.

Selon l’ASE, l’autorité des statistiques grecque, le chômage est passé en un an du taux de 19,7% à celui de 26,8% de la population active (plus de 56% chez les jeunes), ce qui correspond à 1,345 million de chômeurs. Mais c’est le petit caillou cypriote qui blesse les dirigeants européens, les banques du pays subissant le contrecoup de l’effondrement de leurs consœurs grecques. Un sauvetage du pays est inévitable, mais il est annoncé pour devoir lui aussi traîner en longueur. Ni le FDP, ni le SDP ne seraient prêts à l’adopter au Bundestag avant d’y voir plus clair sur les opérations de blanchiment dont Chypre est une plaque tournante, rendant impossible son adoption.

En Espagne, enfin, les banques en cours de renflouement font toujours parler d’elles, mais d’une nouvelle façon : des milliers d’employés des banques menacés par des licenciements massifs manifestent sur le thème « nous ne sommes pas des banquiers, mais des travailleurs ! ». Rodrigo Rato, ancien directeur général du FMI, ex-ministre et dirigeant de la Bankia, est poursuivi devant la justice pour escroquerie et détournement de fonds, tandis que la Banque d’Espagne est durement critiquée dans un rapport d’inspecteurs de la banque centrale cité par El Pais, selon laquelle les contrôleurs avaient pris l’habitude de ne pas voir ce qui se passait dans le secteur bancaire en regardant à côté.

Au chapitre des scandales, celui du Libor et de l’Euribor couve. Des anciens salariés ont mis en cause la Deutsche Bank pour des spéculations massives sur le premier de ces indices, et la banque néerlandaise Rabobank, qui a été identifiée comme faisant l’objet d’une enquête, a décidé de se retirer du panel d’établissements continuant à la fixation de l’Euribor. C’était déjà le cas de la banque allemande BayernLB. On attend une communication de la Commission, qui tarde, faisant suite à son enquête.

La crise proprement financière provisoirement stabilisée sous l’égide de la BCE, c’est sa dimension économique qui prend le pas, dans le contexte d’un approfondissement de sa dimension sociale et politique. L’alternance n’est plus porteuse de changement, une désaffection s’est instaurée vis-à-vis de la vie politique, les reniements sont monnaie courante et la corruption un usage établi, minant la crédibilité d’un discours politique puisant son inspiration dans les ressources de la communication. La fracture était sociale, elle est devenue politique. Les marges de manœuvre que les dirigeants espèrent retrouver ne la réduiront pas si facilement.